L'ambition de l'Union européenne de parvenir à la neutralité carbone d'ici 2050 nécessite une électrification massive des usages. Cette conversion est largement amorcée : les véhicules électriques ont représenté 19 % des immatriculations françaises début 2024. Toutefois, bien que bénéfique d’un point de vue sanitaire et climatique, un véhicule électrique n’est pas pour autant neutre en carbone, par le report partiel des émissions de son utilisation vers sa phase de fabrication (notamment pour la production de la batterie). Ce billet de blog vise à présenter l’intérêt et la nécessité de développer à l’échelle européenne un outil méthodologique standardisé de mesure de la performance environnementale au stade de la conception et de la fabrication des véhicules et des batteries. Il décrit en particulier la proposition conjointe de l’Institut Mobilités en transition (IMT), Transport & Environnement (T&E) et le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) de créer un outil visant à agréger les impacts clés « hors échappements » des véhicules électriques, permettant ainsi de valoriser les produits ou les acteurs industriels à la pointe en termes de décarbonation amont et d’économie circulaire. 

Contexte et enjeux 

Depuis 10 ans environ, la dynamique d’électrification est engagée. Les parts de marché progressent, mais cette séquence s’est également caractérisée par une montée en gamme (proportion accrue de véhicules de segments supérieurs) et un alourdissement des nouveaux modèles. Or de tels modèles impliquent des batteries de plus grande taille, plus de matières premières (acier, aluminium, métaux critiques) et plus d’énergie en usine, ce qui risque d’entraver les efforts d’utilisation de matières premières recyclées et d’énergie décarbonée. Une incitation économique ou réglementaire favorisant la performance environnementale des véhicules électriques en termes d’efficience énergétique ou d’efficience matière est donc nécessaire. Dans la norme CAFE (Corporate Average Fuel Economy) régulant les émissions à l’usage, un véhicule électrique, quels que soient sa taille, son poids, son aérodynamique ou encore son empreinte environnementale en production, compte pour 0 gCO2/km. 60 % des émissions totales d'un véhicule électrique provenant de sa phase de fabrication, il semble nécessaire de mettre en place de nouveaux outils afin d'obtenir une vision plus complète de son empreinte carbone. Ces outils permettront de poursuivre une trajectoire compatible avec l’objectif global de neutralité carbone en 2050 et ainsi tendre vers une décarbonation renforcée et une meilleure maîtrise des impacts environnementaux au sein du secteur industriel automobile.

C’est en ce sens, lors du renforcement des standards CAFE d’émissions de CO2 en 2023, que la Commission européenne a été mandatée pour mettre en place, d'ici 2026, d'une part une méthode d’analyse permettant de qualifier l’efficacité énergétique des véhicules zéro émission lors de leur utilisation, d'autre part une proposition de méthodologie commune d'analyse du cycle de vie pour les automobiles. L’intention et le principe vont dans la bonne direction, mais la première approche (l’efficacité énergétique) est lacunaire car elle ne traite que la phase d’usage, et la seconde, qui se veut plus exhaustive, pêche par son ambition et sa complexité au point que sa mise en œuvre et son utilisation risquent d’être difficiles et retardées, dans un contexte d’urgence à envoyer des signaux et un cadre clairs aux constructeurs ou aux consommateurs.

De plus, en l’absence de cadre différentiant effectif au niveau européen sur la performance environnementale des véhicules électriques, certaines initiatives nationales (au sein de pays membres) ont déjà vu le jour, à l’image de l’éco-score français conditionnant le bonus écologique à une empreinte carbone minimale. En pratique, seuls les véhicules électriques au plus faible impact carbone peuvent désormais bénéficier en France d’une incitation financière à l’achat. Considérant qu’un véritable impact en conception n’apparaîtra que si les outils sont utilisés à l’échelle de l’ensemble du marché européen, T&E, le BEUC et l’IMT souhaitent proposer dans le débat un outil relativement similaire à vocation européenne : nommé « éco-score », ce critère de performance environnemental se veut très opérationnel, rapide à mettre en place et constitue un outil indispensable pour soutenir une politique industrielle européenne déjà relativement performante sur tous ces points, comparée aux productions non-européennes. 

Retour sur les limites en termes d’efficacité des mandats confiés à la Commission européenne

Les travaux de réflexion engagés par la Commission européenne sur l’efficience des véhicules électriques tout comme sur le besoin de développer une méthodologie standard pour disposer d’analyses de cycle de vie robustes et opposables, rappellent que l’électrification des véhicules ne constituent pas une finalité, mais seulement l’un des piliers nécessaires à l’émergence d’une mobilité à très faibles émissions. En ce sens, les politiques publiques doivent non seulement traiter la transition énergétique du secteur, mais également agir sur la nature des véhicules générés1 et leur impact aux stades de la conception, de la production et de la fin de vie. 

Cela étant posé, nous pouvons faire le constat suivant : (1) l’efficience énergétique ne permet pas de traiter l’emprise matière des véhicules électriques compte tenu de la faible corrélation entre la masse d’un véhicule électrique et sa consommation d’énergie à l’utilisation. De plus, considéré comme seul critère d’évaluation, cet indicateur pourrait être contre-productif en encourageant les véhicules de grande taille, profitant de leurs avantages aérodynamiques, mais davantage émetteurs de CO2 au cours de leur durée de vie. (2) Disposer d’une méthode d’analyse de cycle de vie commune et généralisée au niveau européen se heurtera à de nombreux enjeux et difficultés de mise en œuvre sous-jacentes (définition des unités fonctionnelles, méthodologie complexe versus besoin d’une information simple pour le consommateur, coûts induits, fréquence de renouvellement des déclarations et complexité de suivi, champ géographique considéré pour le calcul du contenu carbone de l’électricité, etc.). Autant d’éléments qui ne permettent pas de répondre de manière agile aux dérives court-termistes observées. 

Une proposition intégrant à la fois l’efficience énergétique et l’impact matière

La méthodologie proposée par T&E, le BEUC et l’IMT s’apparente à une approche hybride entre les deux mandats confiés à la Commission européenne rappelés ci-dessus, et l’indicateur repose sur quatre éléments : (1) l’efficacité énergétique des véhicules, donnée nécessaire (mais non suffisante) pour encourager les véhicules les plus frugaux et limiter l’impact sur le réseau de distribution électrique ; et les principaux postes d’émissions identifiés à la fabrication – production de (2) l’acier, de (3) l’aluminium et de (4) la batterie. Nos estimations montrent que la somme de ces quatre composantes permet de couvrir plus de 80 % des émissions totales du véhicule, sans pour autant générer une complexité de rapportage importante. En effet, cet indicateur pourra s’appuyer pleinement sur le cadre règlementaire existant : les émissions des batteries seront très prochainement comptabilisées via le règlement batterie, l’acier et l’aluminium via le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), et l’efficacité énergétique du véhicule est déjà mesurée de manière opposable via les cycles d’homologation WLTP (Worldwide harmonised Light-duty vehicles Test Procedure)/RDE (Real Driving Emissions). Il s’agit donc ici de capitaliser sur l’ensemble de ces composantes pour constituer un indicateur européen unique, simple et facilement déployable. 

Cette proposition de score environnemental (qui pourrait être déployée lors de la révision de la directive “car labelling”) se veut polyvalente, permet d’être juste et souple, considérant la flexibilité dont disposent les constructeurs automobiles pour améliorer la performance environnementale de leurs productions : approvisionnement des pièces et composants dans des régions au plus faible contenu carbone, décarbonation de processus de fabrications liés, augmentation de l’usage en acier et aluminium recyclés, recours à de l’acier vert (Direct Reduction of Iron, DRI), amélioration de l’efficience énergétique du véhicule et notamment de sa performance aérodynamique (S.Cx), diminution du poids et des capacités batteries embarquées, sont autant de variables influant sur l’éco-score proposé. 

Le signal induit par ce dispositif doit stimuler l’innovation et soutenir le développement de filières innovantes (recyclage, décarbonation amont, économie circulaire). L’indicateur étant construit pour être aisément modulable, il sera possible d’envisager une extension des critères, par exemple un critère relatif à la réparabilité des véhicules, ou la possibilité de la recharge bi-directionnelle vehicle-to-grid (V2G). Au final, la méthodologie permet de favoriser la fabrication de véhicules plus performants, mais également de se doter des moyens d’une différentiation environnementale, favorable à l'industrie automobile européenne.

  • 1 L’ensemble des caractéristiques techniques des automobiles influant sur leur performance environnementale : citons notamment leur taille, et masse, segmentation, ainsi que leur durabilité et potentiel de réparabilité.