Le nouveau rapport du GIEC pour limiter le réchauffement climatique à + 1,5 °C met en évidence la nécessité d’une intensification des efforts de tous les pays afin de tenir les engagements de l’Accord de Paris. L’Europe ne peut se soustraire à cette conclusion. L’Union européenne s’est fixé comme objectifs de réduire ses émissions de 40 % d’ici 2030 et de 80 % d’ici 2050 par rapport aux niveaux de 1990, ce qui n’est pas suffisant. L’Accord de Paris préconise un équilibre entre les émissions et les absorptions de GES d’ici la seconde moitié du siècle pour garantir un réchauffement bien en deçà de 2 °C (la « neutralité carbone »).

En parallèle, le GIEC conclut que l’objectif de 1,5 °C à l’échelle mondiale implique zéro émission nette de CO2 sur la planète d’ici 2050, ainsi qu’une diminution radicale de tous les autres gaz à effet de serre. Pour l’Europe, cela signifie qu’il est nécessaire de relever nettement l’ambition des objectifs actuels[1]. D’où les récents appels pour que l’UE se fixe l’objectif de zéro émission nette de GES d’ici 2050, au plus tard.

La stratégie à l’horizon 2050 : une étape essentielle pour que l’action climatique européenne soit conforme à l’Accord de Paris

Dans ce contexte, la Commission européenne travaille actuellement sur une nouvelle stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2050 (dite « MCS » pour Mid-Century Strategy) comme préconisé par l'art. 4.19 de l'Accord de Paris. Les premiers éléments, dont certains ont déjà fait l’objet de fuites, doivent être finalisés et publiés fin novembre, en amont du prochain sommet climatique qui se tiendra à Katowice, en Pologne.

Le document doit permettre d’aider à clarifier deux aspects. Premièrement, la manière dont l’UE devrait transposer les objectifs de l’Accord de Paris dans ses propres objectifs de réduction des émissions à long terme (les objectifs actuels ayant été fixés avant l’Accord de Paris). Deuxièmement, quelles sont les trajectoires possibles pour atteindre ces objectifs à long terme, d’un point de vue technico-économique, mais également en considérant d’autres enjeux comme l’acceptabilité sociale, le financement, etc. 

Même si cette MCS ne sera pas légalement contraignante pour les États membres, son contenu et son processus revêtent tous deux une importance politique majeure. Ainsi, il est capital que l’UE se montre à la hauteur de l’ambition de l’Accord de Paris afin de demeurer le chef de file de la lutte contre le changement climatique au sein des pays développés, particulièrement depuis le désengagement des États-Unis. Cela signifie qu’il faut examiner des scénarios cohérents avec la juste part qui revient à l'Europe dans les efforts pour rester en dessous de 1,5 °C, ce qui implique de viser un objectif tel que zéro émission nette de GES d'ici 2050.

En outre, la vision d’une économie européenne neutre en carbone énoncée dans la stratégie sera très importante pour guider les discussions concrètes qui porteront sur la manière de relever l’ambition de l’UE à court terme. L’Accord de Paris demande aux parties de réviser leurs ambitions à travers leurs « contributions déterminées au niveau national » (CDN, NDC en anglais), et ce, tous les cinq ans. De ce fait, des discussions se poursuivent à Bruxelles avec les États membres sur la nécessité de revoir l’ambition de l’UE dès 2020 et potentiellement à nouveau en 2025. Pour mener à bien ce débat, la MCS est essentielle, car elle peut aider à mettre en évidence les transformations sectorielles, technologiques et comportementales à poursuivre ou à renforcer pour que l’Europe atteigne la neutralité carbone d’ici 2050.

Tout en évitant un débat improductif sur le « partage de l’effort », elle devrait aussi éclairer les discussions entre États membres de l’UE sur les implications potentielles des ambitions de l’Accord de Paris et de la stratégie commune européenne pour leurs stratégies nationales.

L’adhésion des États membres est cruciale

L’adoption de cette MCS ne sera pas facile. La situation des États membres en termes de revenu moyen par habitant, de mix énergétique, de défis économiques et politiques, etc. n’est pas homogène. D’où des points de vue fortement divergents sur des questions fondamentales comme le degré d’ambition souhaitable et les trajectoires optimales pour y parvenir. En 2011, une feuille de route similaire avait d’ailleurs obtenu un veto de la Pologne, dépendante du charbon.

Mais au fond, la mise en évidence des points de désaccord est le but même de cet exercice. À terme, l’Union européenne aura besoin que chaque État membre adhère à sa vision 2050 et l’applique « sur le terrain ». Il faudra pour cela convaincre les États membres les plus hésitants qu’ils peuvent mettre en œuvre cette stratégie en leur proposant une vision d’une économie décarbonée acceptable et qui leur semble réalisable.

Porter le débat au niveau national

Cela soulève une nouvelle question :  comment l’UE coopère-t-elle avec les États membres pour obtenir les informations pertinentes ? Compte tenu des contraintes de temps et de ressources, un inconvénient inévitable du processus d’élaboration de cette première version de la MCS est qu’il a été mené jusqu’à présent majoritairement à Bruxelles. Cela a incontestablement été une faiblesse des tentatives de feuilles de route européennes par le passé, qui ont eu du mal à s’imposer au-delà de Bruxelles.

En raison des élections au Parlement européen en 2019, qui freineront les progrès, il est nécessaire d’intensifier l’engagement des États. En plus de faire la promotion de la MCS et de ses enjeux, ce processus d’engagement national pourrait permettre d’identifier trois aspects fondamentaux du document final :

  • les domaines de convergence et de divergence majeurs entre les différentes perspectives nationales à long terme actuelles pour atteindre les objectifs de Paris et ceux du « premier projet » de la Commission ;
  • les causes de ces différences, en identifiant celles qui correspondent à des problèmes concrets qu’il faut résoudre pour obtenir l’adhésion des États membres ;
  • les solutions envisageables pour résoudre ces problèmes dans un second temps, au moment de l’élaboration des politiques. 

Ces trois aspects constitutifs d’une stratégie 2050 devraient constituer le socle d’une vision partagée de l’atténuation du changement climatique.

Évidemment, il serait irréaliste de s’attendre à ce que toutes les sources de désaccord soient résolues par le processus décrit plus haut. C’est pourquoi il y aura encore du travail, particulièrement au niveau des États membres, pour compléter les analyses et favoriser un dialogue plus éclairé sur les questions en suspens. L’avenir étant incertain, de nouvelles données devront aussi être prises en compte. La MCS ne devrait pas être vue comme un aboutissement, mais plutôt comme un processus continu et itératif. 

 

Prochaines étapes

Fin novembre, la Commission publiera un document présentant les différentes options et la modélisation des scénarios possibles. Il sera présenté en décembre lors de la COP24 à Katowice. La stratégie sera débattue au Conseil de l’Europe en mars 2019 et vraisemblablement amendée courant 2019, avant d’être, souhaitons-le, adoptée par le Parlement européen et les États membres puis soumis à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. En raison des élections européennes de mi-2019, il est possible que ce processus s’étende jusqu’en 2020. Parallèlement, l’Union européenne explorera, ou du moins devrait explorer, des pistes permettant de relever son ambition d’ici 2020, comme le prévoit sa NDC. Comme mentionné plus haut, le rôle de la MCS est fondamental pour guider ce processus.  

 

 

 

[1] Pourtant, compte tenu de l’opposition de certains États membres, l’objectif de -40% à l’horizon 2030 ne devrait pas être augmenté à -45% : https://www.euractiv.com/section/climate-environment/news/european-commission-to-abandon-plans-for-rising-climate-ambition/